Reportage - VSD
En ces temps de crise, les comiques remplissent les salles. Quelque 800 humoristes se produiraient en France. Du coup, les ateliers et écoles qui forment au one-man-show et au stand up se multiplient. Notre reporter a suivi les cours de l’une d’entre elles avant de jouer son sketch devant un vrai public. Aïe !
J’ai le trouillomètre à zéro. Le palpitant cogne sec et j’ai un sac de nœuds dans le bide. Ça s’appelle le trac, paraît-il. Ce 11 décembre, dans une microloge qui sent le vestiaire, j’attends mon tour. Dans quelques minutes, je passe sur scène devant une centaine de personnes. Je n’ai pas la queue du début d’un sketch poilant. Seule consolation, il n’y aura pas de témoin de cette humiliation publique : je n’ai invité aucun de mes amis aux Feux de la Rampe, un théâtre parisien. Si je suis dans cette galère, c’est que VSD m’a mise au défi de suivre les cours de la nouvelle École de l’humour et des arts scéniques (EHAS) pour devenir hilarante, sans rire de mes propres blagues. Parce que l’effet retombe, selon le professeur Philippe d’Avilla*, en charge de mon premier cours, ce 7 décembre, soit quatre jours avant le « dernier jour de ma vie ».
« Pour une Florence Foresti, cent cinquante restent sur le carreau », m’avertit le comédien et metteur en scène belge. Certains professionnels estiment qu’environ huit cents comiques se produisent en France. Autant dire que je ne suis pas la seule à vouloir percer. « Le talent, c’est 10 % de ce qu’il faut pour tenir dans ce métier, il faut avoir ça au fond des tripes », poursuit-il. Contre « l’uniformisation » des comiques, l’école, ouverte en septembre, a décidé d’afficher sa différence. « On part de ce que l’individu propose, pas de textes d’autres humoristes », insiste René-Marc Guedj, fondateur de l’EHAS et « découvreur de talents », dont « Pierre Palmade et Anne Roumanoff ». De 290 à 390 euros par mois, la promesse du cursus en deux ans : repartir avec environ une heure de son propre spectacle.
Le prof est bienveillant avec la classe, mais cash : « C’est nous qu’on rit, pas toi ! Ne te mets pas en commentateur de ce que tu fais », recadre Philippe d’Avilla. Killian, un Marseillais de 19 ans, joue sur le thème de Lost In Translation dans la capitale. « Et ancre-toi dans le sol, tu te disperses. Ce n’est pas un sketch à vannes, du coup, pousse le personnage de la Parisienne. C’est très bien les mains dans les cheveux, mais fous-la sous valium, cette meuf ! Tu la refais ! » « C’est peut-être maso, mais ce mélange d’excitation et d’adrénaline me plaît », confie Car-en-sac. Cette juriste de 50 ans – qui tait son nom pour que « ça ne se sache pas au boulot » – a eu le déclic sur une scène ouverte en 2014. « -Depuis très jeune, j’écris ce qui m’arrive de -façon humoristique. » La comédienne appréhende de jouer son numéro de « la poufiasse » à Kandidator, scène ouverte où des élèves se font la main tous les dimanches. Et où je vais moi -aussi, donc, (tré)passer. Comptez vingt à trente heures de boulot pour un sketch -abouti, même s’il n’y a pas de règle. « Tu gardes 3 à 4 % de ce que tu écris, explique le prof. En humour, c’est le couperet. Tu penses avoir écrit la meilleure blague du monde, elle ne passe pas, tu jettes. Le comique, c’est de la mécanique. Tu fais une pause de vingt secondes au lieu de deux ? Tu passes à côté de ton effet. » « C’est un honneur d’avoir ma canne blanche sur scène. Maintenant, j’ai pris confiance, j’arrive à me déplacer ! Mes enfants m’ont -poussée à avoir une vie sociale et comme je n’aime pas le sport », se marre Sylvie, malvoyante, 59 ans. Comme la plupart des sept élèves présents, cette ancienne étalagiste dans le prêt-à-porter à la voix de Biyouna veut changer de vie. « Bonsoir ! »annonce-t-elle. « Il est midi, c’est bonjour », l’arrête aussitôt Philippe d’Avilla. Tapie dans un coin, j’espère m’être fait oublier. « T’as une blague, Julie ? » « … ? » « Parce que tu passes après, t’as dix minutes. » À l’arrache, je brode autour de mon titre de présidente du BNG, Bureau national de la « gênance », car j’ai la palme du ridicule en reportage à VSD. Transie, je me détends et ça passe. Tout juste. Je ne suis pas drôle, en fait. « C’était fluide, commente le prof, mais bon, il n’y a pas d’enjeu pour toi. » Bah si, un peu quand même.
Il est 19 heures et c’est le jour J. La veille, j’ai rêvé des trucs débiles du genre je suis à poil sur scène. En désespoir de cause, j’ai tapé l’histoire -pathétique du BNG devant l’indifférence -générale de mon foyer. J’ai essayé d’imprimer le texte dans ma caboche. En vain. Une petite voix intérieure martèle : le ridicule ne tue pas, le ridicule ne tue pas… Je sors du métro. Pile à l’heure. Sauf que je pars à l’opposé. Vingt minutes plus tard, au Folie’s Café, en face du théâtre où les artistes se retrouvent avant le show, une candidate me livre son porte-bonheur : « Je ne porte pas de soutif. » Pourquoi pas ? Sympas, mes « collègues » humoristes me textotent des « merde ! » en pagaille. « On se déshabille où, René-Marc ? Y a des hommes dans la salle… » Un candidat m’aborde, il sent fort de la bouche. « Ce soir, je fais la pornographie de Jean-Pierre Desproges. » (sic) Sauvée ! Peut-être y a-t-il plus nul que moi ce soir ? La salle est bondée. « C’est 12 euros la place », m’affranchit Odile, une candidate. « Quoi ? Ils ont payé leur place ? Je vais me faire défoncer ! » « Bonsoir ! Bienvenue à la 242e de Kandidator ! s’écrie René-Marc Guedj. Si vous vous êtes fait chier, vous avez payé, dites-le. Jetez sur scène les pantoufles qu’on vous a données ! »
Je ne vais pas pouvoir. Ce n’est pas possible. Qu’est-ce que je fais là ? Autour de moi, je ne capte qu’un brouhaha inaudible. C’est mon tour. J’ai l’impression d’aller à la guillotine. Mes jambes flageolent. J’ai peur. Ça y est, je suis devant eux. La lumière m’aveugle et plonge le public dans le noir. « Bonjour, je m’appelle Julie, je suis journaliste à VSD et -présidente du BNG, le Bureau national de la -gênance. » Pas de réaction. Les minutes filent. Je me sens à côté de mes pompes qui, d’un coup, surgissent de l’obscurité. Une pantoufle, puis deux, puis trois… J’ai l’impression que je me reçois tout le stock dans la figure. « On n’aurait pas été dans la merde si tu avais gagné ce soir ! » rigole René-Marc. « En fait, ce qui était drôle, c’est que ça ne l’était pas du tout », me lance, confraternel, Pascal, le photographe du journal. Je me faufile tête basse entre les spectateurs qui gagnent la sortie dont certains, à ma grande surprise, me gratifient d’un « bravo, c’est courageux ! », « belle performance ». Plus jamais.
(*) “Gutenberg ! Le musical” au Sentier des Halles, Paris 2e.
Crédits photos : Pascal Vila pour VSD.